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Mastectomie préventive : dans quels cas et sous quelles conditions pratiquer cette intervention ? Les réponses d'un oncologue et chirurgien

Selon les pays et les équipes chirurgicales, 15 à 50% des patientes porteuses d’une mutation génétique optent pour une mastectomie bilatérale préventive. Et si c’était la solution ? Les réponses du Dr Krishna B. Clough, oncologue et chirurgien.

Syndrome douloureux post-mastectomie : les symptômes et comment le soulagerLes femmes qui se savent porteuses d’une mutation génétique prédisposante à un cancer du sein bénéficient d’une solution radicale pour "effondrer" leur risque, comme disent les spécialistes : la double mastectomie préventive. Mais doivent-elles forcément se résoudre à une telle intervention ? Pas toutes, indique le Dr Krishna B. Clough, cancérologue et plasticien, co-fondateur de l’Institut du sein, à Paris. En France, il fait partie de ces spécialistes en chirurgie préventive qui opèrent les patientes au cas par cas, en fonction de leurs spécificités. Il nous détaille le principe et les conditions de ces interventions.

Que propose-t-on en France aux femmes porteuses d’une mutation prédisposante au cancer du sein ?

Comme dans la plupart des pays d’Europe, on propose la même chose, à savoir une mesure individualisée du risque de cancer du sein.

Qui calcule ce risque ?

L’oncogénéticien, dès lors que la patiente a au moins une sœur, sa mère, touchée par un cancer du sein. Ensuite, c’est le chirurgien spécialisé en chirurgie préventive qui explicitera ces données.

L’échelle de risque est-elle parfaitement définie ?

Oui. En fonction du type de mutation et de l’âge de la patiente, elle fournit un risque annuel et cumulé (sur toute la vie). Par exemple, si vous avez 30 ans et une mutation BRCA1, la probabilité que vous développiez un cancer du sein dans l’année est de 3%, soit 30% d’ici vos 40 ans, ce qui est énorme. Il est alors probable que vous choisirez de vous faire enlever préventivement les deux seins (mastectomie prophylactique bilatérale). Autre cas de figure : vous avez maintenant 65 ans, vous êtes porteuse de la même mutation BRCA1, mais vous n’avez jamais développé de cancer du sein. Votre risque sera plus faible et sans doute préférerez-vous ne pas vous faire opérer.

Autrement dit, la mutation n’est pas en soi un "bon pour" se faire opérer...

Non, ce qui n’est pas toujours le cas dans d’autres pays. Aux Etats-Unis par exemple, une femme très angoissée à l’idée d’avoir un cancer, mais qui n’a ni mutation, ni antécédent familial, pourra être opérée par un chirurgien plasticien ou généraliste, non spécialisé en chirurgie préventive. Voilà pourquoi, j’insiste sur l’importance de consulter un spécialiste, très au fait de la littérature scientifique sur les femmes mutées. À titre d’exemple, j’ai récemment vu une femme de 60 ans, porteuse d’une mutation BRCA2, qui voulait se faire enlever les seins. En sortant de ma consultation, elle a finalement choisi de les garder parce que le risque lui paraissait acceptable.

Mais si une femme souhaite malgré tout se faire ôter les seins, n’est-ce pas son choix ?

Si, mais est-ce forcément nécessaire d’effondrer un risque faible ? La mastectomie bilatérale peut parfois apparaître comme une solution de facilité. Or, c’est un choix lourd, car la femme opérée devra ensuite vivre toute sa vie avec des prothèses mammaires insensibles. De plus, dans 6 à 27% des cas, la pose de prothèses entraîne des complications post-opératoires (nécroses, hématomes, infections...) qui nécessitent une réintervention dans les six semaines.

Que se passe-t-il néanmoins pour une femme faiblement à risque, mais trop angoissée à l’idée de conserver ses seins ?

Si elle présente une mutation et n’a aucun facteur de risque de complications (obésité, insuffisance cardiaque ou respiratoire), on accèdera à sa demande d’intervention. En revanche, ce sera plus compliqué si on ne lui détecte pas de mutation, mais que plusieurs membres de sa famille, au premier et au deuxième degré, ont eu un cancer du sein. Le généticien nous fournira alors une probabilité de mutation inconnue à ce jour, et après analyse collégiale de son dossier, on pourra éventuellement l’opérer.

Sans seins, plus de risque ?

C’est presque vrai, oui. Chez une femme mutée, le risque cumulé de développer un cancer dans sa vie tombe de 60 – 70% à 3 - 5% sur la peau du sein conservé, ce qui est pratiquement nul.

Peut-on dresser un portrait-type de la candidate à cette intervention ?

Oui, il s’agit d’abord d’une femme qui a vu sa mère ou sa sœur souffrir, a fortiori mourir, d’un cancer du sein. Mais au-delà, ce qui ressort de mon expérience et de toutes les études anglo-saxonnes, c’est qu’une mère, ou une femme à la vie de couple stabilisée, se fait beaucoup plus opérer qu’une femme jeune et célibataire, qui s’interroge davantage sur son avenir familial, sentimental et sexuel avec deux prothèses mammaires.

Cette candidate-type s’est-elle aussi fait enlever les ovaires par précaution ?

Oui. Pour une femme mutée BRCA 1 ou 2, l’ablation des ovaires est un préalable indispensable, parce que ce cancer est non dépistable et potentiellement mortel.

Certaines patientes se rétractent-elles ?

Elles sont très rares, parce qu’elles ont décidé en connaissant les possibles complications et inconvénients : perte de sensibilité des seins, nécessité de recourir le plus souvent à deux opérations pour obtenir un résultat esthétique optimal... Ce sont des femmes qui choisissent d’avoir une vie physique diminuée, pour une vie psychique améliorée.

Pourtant, les femmes porteuses d’une mutation sont suivies annuellement. Si elles déclaraient un cancer, ne serait-il pas détecté à un stade ultra-précoce, donc curable ?

Si, pour les cancers de bon pronostic, et en particulier les formes BRCA 2. En revanche, plus de 50% des cancers BRCA 1 sont agressifs. Même pris très tôt, ils nécessitent une chimiothérapie et présentent des risques de mortalité. On commence tout juste à parler de stratégies de prévention chirurgicale différenciées, suivant qu’on est porteuse d’une mutation BRCA 1 ou 2, mais pour l’instant, on propose la même solution à toutes.

Les équipes dédiées à la chirurgie prophylactique sont très peu nombreuses. Comment faire quand on n’habite pas une grande métropole ?

La chirurgie prophylactique n’étant pas motivée par l’urgence vitale, elle mérite le déplacement dans un centre expert, c’est-à-dire dans l’un des 22 centres anticancéreux français (CLCC), un CHU, ou un établissement privé spécialisé comme le nôtre.

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Par la rédaction